[Retour d'expérience] - Traversée Soubise / Port Médoc par l'Ouest d'Oléron

Salut à tous,

Dans un précédent post, je vous parlais de la planification de cette traversée et des différentes options possibles. Après l'avoir fait, il m'a semblé intéressant d'ajouter mon retour d'expérience à ce qui a déjà été dit, en intégrant les situations auxquelles j'ai été confronté.

Je vais essayer de ne rien oublier et de détailler un peu, tout en essayant de ne pas être trop long. Le vent donné est toujours le vent apparent.

  1. Option retenue :

Au vu des différents avis qui m'ont été donnés (merci à la communauté héossienne), et de notre propre interprétation des différents paramètres (à partir de maintenant, je dis nous, parce que cette nav s'est vraiment faite à 2, et à égalité), l'idée est de partir de Soubise vers 17h, relâcher du côté de St-Denis d'Oléron, et repartir pour prendre les passes avec le Flot, de manière à arriver à Port Médoc en milieu d'après-midi.

  1. Météo :

V : N-NE virant progressivement NW dans la nuit, 3-4 Bft, puis E. Dimanche en milieu de journée, SE puis S, 2-3 Bft.
M : belle à peu agitée, redevenant belle le dimanche
H : 1m à 1m 50 en réduction. Non significative le dimanche.
T : IL NE PLEUVRA PAS (vous verrez c'est important pour la suite ;-) )
V : globalement supérieure à 5 nm, ça ne sera pas tout à fait vrai le dimanche
IMPORTANT : On est sur le dernier quartier, ce qui signifie qu'il n'était pas question de sortir de la Charente de nuit, et qu'une fois à l'Ouest d'Oléron, Chassiron sera pratiquement notre seul repère.

Globalement, les conditions sont idéales, sauf pour la partie E, qui fait que nous risquons d'avoir le vent de face dans les passes, donc soit tirer des bords si le vent est suffisant, soit nous aider du moteur, soit un mix des deux.

  1. PREPARATION DU BATEAU ET DE L'EQUIPAGE

Pleins fait, pont clair, moteur et filtres vérifiés (vous verrez, c'est important aussi). On a prévu de s'habiller bien chaud. Gâteaux et eau à portée de main. Route tracée, électronique vérifié et outils "manuels" à portée de main en cas de souci.


PREMIER TRONCON : SOUBISE - ANTIOCHE

Départ 17:30 avec le courant de jusant dans le dos. Le temps est grisouillard, il fait un peu frais, mais tout va bien. Sur la première partie (jusqu'au coude après Fort Lupin), nous sommes sous moteur seul, aucun intérêt d'envoyer de la toile avec le vent dans le nez. Une fois le méandre passé, on envoie la toile, on garde encore un peu de moteur jusqu'à l'embouchure.

Il y a entre 17 et 20 kts de vent. On est au bon plein, avec un bateau et un équipage qui se régalent. Une fois Boyard sur notre 3/4 bâbord arrière, on se prend un clapot croisé assez désagréable. On ne comprend pas trop pourquoi, mais c'est comme ça. On fait avec.

Plus on se rapproche de l'endroit où on doit relâcher, moins la mer nous donne envie de le faire. On est à 5 nm environ de St-Denis, et ça remue bien. Aucune chance de mettre la pioche dans le coin. On pourrait aller à St-Denis, mais l'entrée de nuit à marée basse ne nous enchante pas. Nous nous concertons... Nous savons que le vent risque de tomber dans le courant de la nuit, pour le moment, il y en a et on avance, pourquoi ne pas continuer ?

Il faut intégrer 2 paramètres dans la prise de décision :

  • au rythme où nous avançons, il ne nous sera de toute manière pas possible d'embouquer le chenal quand nous arriverons dessus.

  • le froid est bien présent et la nuit risque d'être longue.

Après une courte discussion, on décide de continuer. Il n'y a pas de danger potentiel, si on arrive trop tôt, on fera de la manœuvre ou du tourisme dans le coin (humour inside, y'a vraiment rien à voir par là) en attendant. Nous sommes bien équipés et on a déjà eu froid, ce ne sera ni la première ni la dernière fois.

Donc, au lieu de resserrer ver St-Denis, nous arrondissons bien Antionche, comme préconisé.


SECOND TRONCON : ANTIOCHE - BOUEE BXA

Au fur et à mesure que nous arrondissons, le vent nous suit... Incroyable !

Nous en arrivons à nous demander si ça ne va pas être une grande première : la traversée en un seul bord !!!

Ben non, à un moment donné, il faut quand même changer d'amure, mais si ça ne bouge plus, on va effectivement longer Oléron sur un unique bord de portant.

Nous nous sommes éloignés un peu plus que préconisé de la côte (environ 8-9 nm), d'une part pour être tranquilles et d'autre part pour pouvoir le cas échéant tirer de longs bords si le vent tourne plus tôt que prévu.

La nuit est maintenant tombée depuis un bon moment, et malgré les différentes couches de vêtements, le froid commence à se faire sentir. On grignote, mais le cœur n'y est pas. D'insidieux restes de houle nous font rouler en permanence, et même si ce n'est pas trop marqué, c'est quand même désagréable. A mi-parcours, le vent refuse plusieurs fois. On s'y attendait un peu. C'est bien, ça nous réveille. A la troisième refusante, nous sommes bien réveillés mais franchement frigorifiés.

A tour de rôle, nous allons nous réchauffer à l'intérieur, mais celui-ci n'est pas beaucoup plus chaud, et en plus il est humide. Le café aide un peu.

La bonne nouvelle, c'est que nous avançons bien. Il y a toujours 12-15 noeuds, et du coup, nous arrivons à la BXA vers 4h du matin.


DE L'IMPORTANCE DE LA STRATEGIE...

Une seule question se pose... Maintenant, on fait quoi ? Inimaginable d'embouquer la passes de nuit contre le jusant. Là où nous sommes, pas trop moyen de mettre la pioche dans 30 mètres d'eau, on n'est pas sur un cargo...

Nous arrivons à la conclusion suivante : si nous continuons à faire du Sud, il ne sera pas trop compliqué de faire ensuite demi-tour pour revenir sur la BXA et embouquer tranquillement les passes un peu après la renverse. On calcule à la louche, et on se dit que c'est jouable.

Le problème, c'est qu'on commence à avoir franchement froid, et même en raccourcissant les périodes de barre, les membres sont engourdis et l'esprit nettement moins aiguisé, la fatigue aidant.

Vers 5h30, nous faisons toujours du Sud, et nous commençons à nous rapprocher des passes Sud, pas réputées amicales. L'environnement ne faillit pas à sa réputation. Sur les coups de 6h, nous nous rendons compte que la mer plutôt clémente est en train de se transformer en un méchant clapot anarchique et bien creux. A ce moment, on se prend une refusante qui nous laisse tous les deux démunis. Ce n'est pourtant pas difficile à gérer "en temps normal", mais l'esprit et les membres sont tellement engourdis que le bateau devient pendant quelques instants maître de nous au lieu de l'inverse. Heureusement que le temps est clément, en d'autres circonstances, ça n'aurait pas pardonné !

Encore une fois bien réveillés, nous repartons vers la BXA. Le vent a viré à l'Est, 8-12 kts.

Quand nous arrivons à la bouée, il reste encore pratiquement 2 heures de jusant...


DERNIERE ETAPE : LA PASSE OUEST ET LE BONHEUR AU BOUT DU BOUILLON

Nous somme démunis, et cette fois transis de froid. Le moral est dans les chaussettes. Ca ne pourrait pas être pire. Le vent dans le nez, max 10 kts (oui, il est tombé, sinon ce ne serait pas drôle). La mer est pour le moment très gérable, mais nous ne sommes pas encore dans la passe, nous ne savons pas ce qu'il y aura comme trafic, et tirer des bords de près serré dans cet environnement que nous ne connaissons ni l'un ni l'autre ne nous remplit pas de joie.

Encore une fois, deux options possibles :

  • on fait des ronds ou on redescend un peu
  • on affale le génois et on met le moteur, on verra bien...

Cette fois, c'est plus le cœur que la raison qui a dicté notre décision. En effet, ça n'aurait pas pris plus de temps de redescendre un peu et de prendre les passes avec le flot, mais psychologiquement, on s'est dit que même si on n'avançait pas vite, au moins on se rapprocherait de notre but. Nous somme à ce moment tous les deux rincés et frigorifiés. Les doigts sont trop engourdis pour faire un café, ils savent juste se crisper sur la barre ou s'enfouir dans les poches. Alors on y va et advienne que pourra.

Les 3 premières bouées se passent sans encombre, mais on n'avance vraiment pas vite (2kts sur le fond).

Arrivés à la cardinale Nord, on se fait brasser par une houle croisée qui vient de nulle part pendant une bonne heure. Ben oui, il paraît que les passes, c'est ça aussi.

Je vois mon équipier inquiet. Je luis demande ce qui ne va pas. Il me dit que c'est juste la fatigue, mais tout va bien. Il me révélera plus tard le sujet de ses soucis : avec 7 kts surface, on était à peine à un demi-nœud sur le fond. Que le vent vienne encore à faiblir et c'était assez mal barré.

La brume fait qu'on ne vois pas les côtes. Du coup nous avons l'impression d'être au milieu de nulle part. Les passes sont à nous, à nous seuls. Cela nous procure une sensation de plénitude, mais nous fait en même temps un peu peur.

La mer se fait plus clémente, et nous approchons de plus en plus de la renverse. De notre objectif... pas vraiment, mais nous sommes résignés. On est au-delà du froid, tout ce qu'on veut, c'est arriver, peu importe comment.

Ca y est, l'embouchure se profile.

Mon équipier découvre avec délectation une vraie illustration des explications données dans les livres : quelques milliards de tonnes d'eau qui veulent sortir, contre des tas de milliards de tonnes d'eau qui veulent entrer. Il me dit :

  • c'est quoi ce chaudron en face de nous ? Y'a des hauts fonds ?
  • non, c'est l'embouchure. C'est tout le temps comme ça, sauf que là il fait beau.

Nous convenons que nous avons de la chance.

Nous clapotons gaillardement dans ce chaudron anarchique mais clément, et nous "crabons" l'entrée du port. Une fois à l'abri de la jetée, nous avons l'impression de nous retrouver sous les tropiques. On a la banane tous les deux. On est arrivés, on l'a fait.

La traversée nous aura pris un peu plus de 20 heures.


CE QUE J'EN RETIRE

  • Il ya 3 paramètres essentiels à la réussite d'une navigation : préparation, préparation, préparation

  • quand je dis préparation, ce n'est pas seulement le bateau, il faut aussi que les équipiers et le skipper soient à l'avenant. Ne jamais se surévaluer, surtout sur une nav comme celle-ci, qui peut s'avérer plus longue que prévu.

  • c'est toujours la mer qui gagne et il faut le prendre en compte. Ce jour-là, nous avons eu de la chance dans les passes, mais avec un coeff plus gros de quelques points, contre le vent et le jusant, nous n'aurions pas pu étaler. ET il faisait beau. Je m'imagine mal en train de reculer dans une mer déchaînée avec des cargos tout autour. C'est noté dans un coin de mon petit cerveau. Ne pas laisser le psychologique prendre le dessus, toujours rester factuel et pragmatique.

  • Le bateau était bien préparé et à aucun moment nous n'avons eu la moindre sensation d'insécurité. Il aurait sans souci pu étaler une mer plus hostile (sauf dans les passes, pour les raisons que j'ai évoquées). Donc, n'ayez pas les yeux plus gros que le ventre. Si le bateau peut, il peut, s'il ne peut pas, ne tentez pas le diable. Il en va de même pour le skipper et les équipiers.

  • le plaisir après coup est incommensurable, mais en situation, ça n'a pas été facile à chaque instant. Il faut l'intégrer dans sa préparation de nav. C'était nouveau pour moi et j'en ai beaucoup appris.

  • la passe sud à peu près toujours turbulente, ce n'est pas une légende. Quand on a vu les abords, on s'est dit que passer par là n'était définitivement pas une option.


EN CONCLUSION

L'idée de ce post n'est absolument pas de faire peur à ceux qui veulent se lancer dans cette traversée. Si vous le sentez, faites-le. Si votre nav, votre bateau et vos équipiers sont correctement préparés, ça devrait aller. Mais ne négligez pas ce que vous disent celles et ceux qui ont une longue expérience de ce coin, car cette expérience, et elle seule, nous a permis de choisir les bonnes options. La seule fois où nous n'avons pas écouté, nous avons bien failli nous en mordre les doigts (entrer contre vent + courant de jusant).

Dans tous les cas, pour une première, je déconseille formellement s'il y a la moindre incertitude météo.


Voilà, j'espère ne pas avoir été trop barbant, et j'espère que ma contribution pourra être d'une quelconque utilité.

Bon vent à tous.

L'équipage
08 avr. 2013
08 avr. 2013

bienvenue au club des kamikazes de l,estuaire de la gironde!
mais le tapis roulant ses mieux que la roulette russe !
:non: :non: :pouce:

08 avr. 2013

Beau récit , retour d'expérience tres interressant ,

08 avr. 2013

Dommage qu'on ne puisse pas voter pour ton topic...:pouce:

Vous étiez à St Denis vers quelle heure ? A partir de 22h30/23h, ça aurait dû être praticable (avec un petit clapot modéré levé par le vent, je suppose)... je suppose...

08 avr. 2013

Possible, on n'est pas restés pour le voir :langue2: Mais sur le coup (à 5nm environ sur les trucs de 21h30), ça n'avait rien d'évident. Alors on s'est dit que quitte à ne pas dormir, autant naviguer.

08 avr. 2013

Merci pour ce partage.

08 avr. 2013

Merci pour ce récit clair, bien construit et informatif à la fois...
Un peu long, certes, pour un fil H&O mais 20 heures dans le froid... c'était sûrement encore plus long!
Ayant mon vieux canot à Port des Barques, j'en ai pris bonne note car c'est aussi une nav' que je ferai mais avec quelques degrés de plus, mon chauffage à gaz n'étant pas opérationnel... :heu:
Content que ce se soit bien passé...

08 avr. 2013

on t'avait bien dit de te couvrir........content pour toi bienvenu dans l'estuaire et à très bientôt sur l'eau..

08 avr. 201316 juin 2020

je les préfère comme ça moi les passes... :heu:

08 avr. 2013

Ouah l'autre eh, il prend une photo du lac d'Hourtin un jour de beau temps et il veut nous faire croire que c'est les passes ... :mdr: :mdr: :acheval: :acheval: :acheval:

08 avr. 201316 juin 2020

ben non pas si beau que ça..........mais il fait 26° pas fou moi...............

08 avr. 2013

Sympathique le récit.
Votre force est aussi d'avoir été 2. Ça aide quand même.
On mesure aussi que l'endroit est assez technique. C'est le cas.

08 avr. 201316 juin 2020

C'est effectivement assez technique, mais du coup très intéressant à naviguer. J'ai conscience d'avoir découvert un terrain de jeu aux ressources quasi inépuisables.

Pour info, les paramètres de ma trace :

  • Distance : 86.8 nm (c'est dû au Sud qu'on a fait plus que de raison)
  • Total Time : 19H59'
  • Average speed : 4.3 kts
  • Max speed : 8.3 kts

Du coup, mon hypothèse de 4 kts de moyenne n'était pas trop déconnante.

Et soyons fous, une petite tof pour terminer.

08 avr. 2013

Là où tu es passé (ligne de fonds de 30m), tu ne risquais pas de te prendre un casier. De nuit, c'est un bon choix. C'est assez désagréable de se retrouver ancré par un casier, sauf qu'on ne peut pas remonter l'ancre quand on veut. C'est arrivé à 2 ou 3 personnes que je connais, ils n'en ont pas gardé un bon souvenir... De jour, on peut les éviter, mais de nuit on ne peut pas les voir. Il faut donc passer au delà de la ligne des 20m.

08 avr. 2013

C'était en effet notre crainte. On est passé large pour 2 raisons :

  • les casiers
  • si le vent virait sud plus tôt que prévu, on aurait tiré des bords, mais on aurait pu les faire plus longs.

Tout comme toi, je conseille vraiment de passer large, ça fera une ou 2 heures de nav en plus, mais c'est la tranquillité assurée, et ça le vaut.

09 avr. 2013

merci pour ce recit tres instructif

09 avr. 2013

Bravo ! c'est bien mais partir sans chauffage à cette époque et naviguer de nuit en plus ! jeunes fous ! :pouce:

22 avr. 2013

Merci bcp pour ce retour d'expérience qui m'a beaucoup plu. je débute à la voile sur mon petit canot, et c'est un récit d'expérience, en plus dans une zone proche de la mienne, qui me sera encore utile.

2013-05-31 - Près de Stokksund (Norvège) Phare Kjeungskjær

Phare du monde

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2013-05-31 - Près de Stokksund (Norvège) Phare Kjeungskjær

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