Le radeau de survie en plaisance


L'achat et les révisions d'un radeau de survie sont coûteux et le choix difficile car le marché est maintenant ouvert. Cet article est un petit point très simplifié (vous allez voir, c’est quand même touffu) sur la technologie des gonflables !

Un peu d'histoire:

le radeau de survie en plaisance

Avant 1935, tout était simple : un tissu de coton enduit de caoutchouc naturel collé, une durée de vie se comptant en mois … Juste avant la 2ème guerre mondiale et pendant, les grands pays occidentaux se rendent compte que ceci les rendait dépendants de pays exotiques et ils ont lancé d’importantes études pour trouver des substituts : caoutchouc et fibres synthétiques. Après 1945, ces produits sont progressivement mis à disposition du public et se substituent peu à peu aux produits naturels, sauf pour le caoutchouc naturel dans certains cas particuliers. Le nylon ou le polyester, voire le Kevlar ont complètement remplacé le coton, comme pour les voiles. Par contre l’affaire se complique au niveau de l’enduction.

Actuellement, il faut distinguer les annexes/bateaux pneumatiques et les survies.

Annexes et bateaux pneumatiques :

A partir des années 60, apparaissent des tissus enduits néoprène, puis néoprène / hypalon qui remplacent rapidement complètement les produits naturels (en tous cas dans les pays occidentaux).

Le néoprène (marque déposée Dupont) est un caoutchouc isoprène, le premier caoutchouc synthétique. Il remplace avantageusement le caoutchouc naturel, avec notamment un meilleur vieillissement, mais l’inconvénient de ne permettre que des teintes foncées.
L’Hypalon (marque déposée Dupont) est un Polyéthylène chlorosulfoné, qui présente une extraordinaire résistance au vieillissement atmosphérique (rayons UV notamment) et permet de plus de réaliser des teintes claires, voire du blanc.
Le tissu néoprène (à l’intérieur pour l’étanchéité à l’air) / Hypalon (à l’extérieur pour la tenue au vieillissement) constitue le sommet de la qualité pour la réalisation de bateaux pneumatiques (certains Zodiac ou Aérazur Attaque du début des années 70 sont encore en service après 45 ans).

Malheureusement ce tissu présente deux défauts :

· Il est cher
· Il ne peut être assemblé que par collage à froid, procédé délicat et coûteux.

Cette technique du collage à froid consiste à émeriser (poncer) le tissu dans les zones d’assemblage, appliquer un adhésif bi-composant, laisser sécher, réactiver avec un solvant, puis a appliquer les surfaces à coller en roulant pour promouvoir l’adhérence. Ce process parait simple, mais demande, pour assurer de bonnes jonctions, une grande rigueur et une discipline sans faille : atelier contrôlé en température et hygrométrie, respect des temps de vie en pot de l’adhésif notamment. En effet, une trop forte hygrométrie amène à un dépôt d’humidité pouvant aller jusqu’au givre sur la zone encollée, dégradant de façon catastrophique la tenue du joint. Par ailleurs, ce procédé pose des problèmes de santé au travail, au moins en Occident, les solvants utilisés relevant de la catégorie « qui fait rire » (*). La qualité finale dépend donc beaucoup de la qualité du travail des opérateurs-opératrices et de leur discipline (pas facile de jeter un pot d’adhésif valant plusieurs dizaines d’euros parce qu’il a dépassé sa vie utile de 2 mn…). Par ailleurs, acheter un bateau en Hypalon collé à la va-vite est stupide car les jonctions vont lâcher rapidement.

La démocratisation de la plaisance au début des années 70 a suscité la recherche de procédés plus industriels et de matériaux plus économiques. Le matériau qui s’est imposé est le PVC (chlorure de polyvinyle), produit peu coûteux et facile à enduire. En effet ce matériau est une matière thermoplastique (= qui fond à la chaleur), alors que les caoutchoucs sont des élastomères (= qui brûle sans fondre). Ceci permet, outre le collage, de développer la soudure par simple chauffage des zones à assembler.

Deux techniques différentes sont utilisées pour l’assemblage :
· La soudure HF, où les zones à assembler sont pressées puis chauffées par passage d’un courant haute fréquence, (analogue au micro-ondes)
· Le thermobandage, initialement inventé chez Zodiac, qui consiste à assembler deux tissus et une bande d’assemblage en chauffant la zone à souder à l’aide d’un jet d’air chaud, ce qui permet de faire des soudures très longues en continu ou même de robotiser l’assemblage : pose des défenses par exemple.
Ces procédés permettent d’obtenir des assemblages de bonne qualité dans des conditions industrielles et répétitives et ils sont à l’origine de la démocratisation du pneumatique dans les années 80. Ils peuvent coexister sur le même bateau. Ces assemblages présentent une bonne résistance à l’hydrolyse (dégradation par l’humidité).

Attention : ne pas confondre ce type de bateau en tissu enduit PVC (le tissu utilisé a une résistance de l’ordre de 500 kg / bande de 5 cm) et les engins de plage en feuille PVC sans tissu de renfort.

Le PVC présente par contre, du fait de sa nature fondamentalement rigide, qui nécessite pour obtenir la souplesse souhaitée l’adjonction de plastifiants et d’autres composants antivieillissement, deux points d’infériorité importants par rapport au néoprène / Hypalon :

· La tenue aux attaques chimiques et physiques : dans le cas qui nous intéresse un tissu PVC résiste assez mal aux UV et aux hydrocarbures (essence),
· La tenue au froid, le matériau perdant sa plasticité aux basses températures et devenant cassant, ce qui l’exclue notamment des matériels militaires.

En résumé on peut considérer que le marché du bateau pneumatique se répartit aujourd’hui en deux familles suivant le matériau :

· PVC pour le bas/milieu de gamme
· Néoprène/Hypalon pour le haut de gamme et le matériel militaire
· Plus naturellement quelques cas particuliers, comme certains bateaux en tissu enduit néoprène seul ou polyuréthanne (voir plus loin)

Les radeaux de sauvetage :

Le problème des radeaux est sensiblement différent, puisque par nature, les radeaux restent pliés à l’abri de la lumière jusqu’à leur utilisation. Les critères de faible masse et encombrement sont importants.

Les premiers radeaux durant la 2ème guerre mondiale étaient en coton/caoutchouc naturel, avec des durées de vie de l’ordre de l’année. Le caoutchouc naturel présente en effet l’inconvénient d’être très sensible au vieillissement par les rayons UV et l’ozone atmosphérique, qui le rendent poreux et le font se craqueler. Un problème complémentaire est la variabilité de la gomme de base, qui dépend non seulement de la provenance du produit, mais de la saison de récolte et de la météo …

Par contre le caoutchouc naturel permet de réaliser facilement des mélanges conservant une bonne flexibilité aux basses températures, ce qui justifie qu’il soit encore employé dans certains cas particuliers (produits SOLAS). Afin d’améliorer la tenue au vieillissement, deux voies se sont imposées :

. Le butyle (polyisobutylène) est un élastomère (caoutchouc) présentant une bonne tenue au vieillissement et une très bonne étanchéité même en couche mince. Il est par exemple utilisé pour les tenues militaires contre les agents chimiques ou dans les pneus pour la couche interne d’étanchéité. Il permet de réaliser de très bons produits, mais il est relativement cher et ne peut être assemblé que par collage à froid, avec les contraintes industrielles citées plus-haut.

. Le polyuréthanne (PU) : Ce terme recouvre en fait une très vaste famille de produits de caractéristiques très variées. Deux catégories principales notamment existent : PU base polyester, avec une bonne résistance chimique, notamment aux hydrocarbures, mais une mauvaise tenue à l’hydrolyse et PU base polyether aux propriétés inverses ! Par contre les chimistes arrivent à développer des produits « sur-mesure » aux performances élevées.

Le PU permet de réaliser des tissus étanches, très légers et souples à basse température, mais de coût plus élevé que le caoutchouc naturel et nécessitant des installations industrielles importantes et coûteuses pour l’enduction. Les procédés d’assemblage sont le collage, la soudure HF et le thermobandage, bien que ces deux derniers procédés soient d’une application plus délicate que pour le PVC du fait des températures plus élevées et plus précises nécessaires.

Cas particulier des radeaux Solas

le radeau de survie en plaisance
La photo est un radeau Solas Viking
On note le talc qui empêche le caoutchouc de se coller sur lui-même

Pour les normes SOLAS, qui demandent un déploiement à - 30 °C, la plupart des constructeurs ont homologué des radeaux SOLAS en Butyl ou en PU.

Néanmoins subsistent des radeaux en caoutchouc naturel. Le mauvais vieillissement du caoutchouc naturel a fait maintenir pour ces matériels SOLAS une inspection annuelle et des études en cours pour espacer des révisions vont probablement amener à l’exclusion du caoutchouc naturel.

Le Ministère des transports canadiens a fait une étude (intéressante et en français) qui fait le point de la question pour les radeaux SOLAS :

http://www.tc.gc.ca/fra/innovation/cdt-projets-maritime-d-9269-1240.htm (**)


Cas particulier des radeaux Plaisance :
Le problème des radeaux Plaisance est différent : la nouvelle Norme ISO 9650 distingue trois catégories de radeaux :

. type 1 : hauturier, subdivisé en
             - groupe A (-15 à + 65°C)
             - groupe B (0 à + 65 °C)
. type 2 : côtier (0 à 65°C)

Ces niveaux de température peuvent être respectés facilement avec des tissus PU, voire même PVC pour la classe 0 à 65°C.

La bonne tenue au vieillissement de ces matériaux a permis au législateur d’espacer les révisions à 3 ans en 2005, à l’imitation des gonflables aéronautiques ou le PU est utilisé exclusivement depuis 30 ans.
Une certaine incertitude demeure sur la tenue des radeaux, même en PU, dans des conditions extrêmes de température et d’humidité (zone tropicale), notamment au niveau des assemblages collés, réalisés en général avec des colles PU base polyester, ce qui amène certains constructeurs à conseiller le maintien d’inspections annuelles dans ces zones.

Le choix :
Une remarque préliminaire :
lorsque je parle ci-dessus d’un élastomère ou plastomère particulier, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit en fait uniquement du produit de base d’un mélange pouvant comporter plusieurs dizaines d’ingrédients, qui, en fonction du cahier de charges et de la compétence du formulateur, permettent d’ajuster dans une certaine mesure les caractéristiques du produit fini. Des tissus de même « famille » venant de divers fabricants peuvent se révéler assez différents à l’usage.

Pour achever de compliquer la situation, il faut avoir à l’esprit que, d’une part, les fabricants de bateaux achètent leur tissu à des fournisseurs beaucoup moins nombreux : par exemple, pour du tissu néoprène/hypalon, il n’y a que très peu de fournisseurs dans le monde voire un seul (français) pour le tissu blanc : vous pouvez donc acheter le même bateau en deux teintes différentes chez un fabricant donné et avoir en fait deux tissus différents provenant de fournisseurs différents. D’autre part, les différentes techniques peuvent cohabiter chez un même constructeur : Zodiac vend des bateaux pneumatiques en PVC (bas et milieu de gamme), en PU (moyen/haut de gamme) et en néoprène/hypalon (très haut de gamme et militaire). De plus, le même bateau peut être réalisé en tissus différents suivant le client civil ou militaire.

La communication sur ce point n’est pas toujours claire et les vendeurs souvent totalement incompétents.

Alors que choisir ?

D’abord définir votre besoin :

. Pour une annexe :
Si vous voulez tenter le passage du Nord-Ouest ou aller pêcher au Spitzberg, choisissez une annexe en néoprène/hypalon, de même si votre bateau mesure 60 m et votre annexe a deux moteurs de 250 CV (dans ce cas le surcoût n’est pas un problème, de toute façon).
Egalement, aux Antilles ou en Floride, ce type d’annexe peut présenter de l’intérêt, à condition que vous ne vous la fassiez pas voler ou endommager avant d’en voir les avantages, car c’est 2 à 3 fois plus cher que du PVC qui remplira tout à fait bien son rôle pour le commun des marins.

Si vous avez la place, une annexe semi-rigide est beaucoup plus résistante à l’abrasion qu’une souple. De toute façon, si votre annexe fuit au gonflage, vous ne risquez guère que de manquer l’apéro au bistrot du port.

. Pour une survie :
De même pour l’Alaska et le Spitzberg, une annexe « type SOLAS » peut présenter un avantage, pour les autres marins une ISO 9650 Groupe B fera aussi bien l’affaire, voire mieux (moins lourde, vieillit mieux).

Les limites de l'homologation

. Il faut se rappeler que « homologué suivant la norme ISO 9650 » signifie simplement que quelqu’un a réussi à fabriquer un prototype qui a subi avec succès les tests de la norme, éventuellement après plusieurs tentatives. La conformité du produit (matériaux, assemblages) qui vous est livré, fabriqué dans une autre usine par d’autres personnels, ne vous est garantie qu’à travers le sérieux de l’industriel et son système d’Assurance Qualité, et éventuellement une surveillance étatique des fabrications. La meilleure assurance pour le consommateur reste la notoriété du fabricant. Il peut être utile de s’assurer qu’un recours juridique est possible en cas de gros problème, ce qui ne pose pas de difficultés si le fabricant est établi dans l’Union Européenne, mais pas si simple s’il est en Mongolie Extérieure. Sinon vous risquez de vous voir opposer la clause standard de garantie des parachutes : « s’il ne s’ouvre pas, ramenez le au magasin, on vous l’échangera ! ».

. Après la première révision (***), la qualité de la station de révision prend une place de plus en plus importante dans la fiabilité. Je répète cependant ma mise en garde sur les survies collées à la main, dont la qualité peut être très variable en fonction de la main d’œuvre et du contrôle qualité : dans ce cas préférer une marque à la réputation étable de longue date….

. Lisez soigneusement les docs constructeurs en vous servant des quelques données ci-dessus, ne vous fiez pas au vendeur qui en sait souvent moins que ce que vous venez de lire ou aux sites Internet, qui racontent parfois n’importe quoi…

Après ça, c’est vous qui voyez, c’est votre peau après tout !

Et pour conclure, une phrase entendue au début de ma carrière d’ingénieur militaire de la part d’un officier de commandos : « Ce qui m’a toujours préoccupé est de savoir que mon fusil a été fabriqué par le moins-disant »….

Rédacteur: "Negofol".

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NDLR (Robert de H&O)

(*) je suppose que cela signifie "euphorisant"

Divers détails relevés sur le forum H&O:

(**) "www.tc.gc.ca/cdt/projets/maritime/d/9269.htm" : cette étude montre la dégradation rapide de la fiabilité avec l'âge de la survie et les révisions. Pour les SOLAS:

"Les statistiques sur les inspections indiquent que la probabilité qu’un radeau de sauvetage soit réformé (déclaré inutilisable) est d’environ 1 p. cent s’il a moins de 4 ans et d’à peu près 10 p. cent s’il a entre 4 et 16 ans, puis s’accroît rapidement. Ces statistiques montrent également que la probabilité qu’un radeau de sauvetage présente un problème critique est minime si ce radeau a moins de 4 ans, augmente ensuite rapidement et atteint un sommet lorsque le radeau a 16 ans, l’âge moyen des radeaux de sauvetage qui présentent des problèmes critiques étant de 13,5 ans"

(***) Par exemple
. le rapport du naufrage de l'Estonia montre que après le naufrage, sur 63 radeaux, 50 ont été retrouvés gonflés, 2 dégonflés et le reste pas retrouvé, (présumés coulés). Donc 20% n'ont pas fonctionné
http://www.onnettomuustutkinta.fi/estonia/

. En aéronautique, les essais de certification d'évacuation des passagers par toboggans sont faits avec 50 % des toboggans opérationnels. Un rapport FAA il y a qq années faisait état que dans 1/3 des évacuations réelles, au moins 1 toboggan ne s'était pas gonflé correctement

. "Ces statistiques (ndlr: SOLAS) montrent également que la probabilité qu’un radeau de sauvetage présente un problème critique est minime si ce radeau a moins de 4 ans"
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