Connaissance et renaissance du ferro-ciment en construction navale « plaisance »


(Adaptation d’un article dont l’objet est plus large)

 Le choix du meilleur matériau avec lequel construire un voilier est bien controversé. Comme on dit dans la littérature : « C’est la bouteille à l’encre », signifiant qu’on va pouvoir user des litres de ce liquide sur ce sujet (l’expression est d’avant l’informatique…). Je ne le ferai pas ; il suffit de mentionner qu’ils sont tous chers, longs et souvent difficiles à mettre en œuvre. Le bois d’arbre fuit et pourrit, le contreplaqué aussi (par les tranches surtout), l’acier rouille, l’aluminium coûte le plus cher, est sensible à la « fatigue » au sens mécanique du terme et à l’électrolyse, le « plastique » est sournoisement attaqué par l’osmose (parce que l’emploi par les chantiers de résines époxydes rendrait les bateaux encore plus coûteux…), que reste-t-il de conforme à l’esprit de simplicité et d’économie que nous défendons ? Précisément un matériau disparu que je vais tenter de réhabiliter comme j’ai voulu dans un article précédent rappeler l’attention sur les avantages du doris et des voiliers à bouchains vifs : le ferrociment.

A ce stade, exclamation de certains lecteurs qui arrêteront d’ailleurs là leur lecture. Ce matériau a très mauvaise réputation… Reprenons l’histoire pour ceux qui suivent.

 Il faut citer le pionnier Joseph Lambot qui construisit en 1848 deux dinghies en « ferciment » à Miraval, petit village français de 44 habitants, situé dans le département de l'Aude et plus connu pour son vin rosé. Il déposa un brevet sur sa méthode en 1855.

Depuis les coques en ferrociment parsèment l’histoire, y compris la grande puisque les ports artificiels construits très rapidement par les alliés lors du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie l’ont été en coulant sur place des pontons en ferrociment remorqués à cette fin.

La grande période du ferrociment dans la construction de voiliers de plaisance commence elle vers 1968 et s’étend sur la décennie 70, ne débordant que peu dans le début des années 80. Fol espoir, on allait avoir des grands voiliers pour presque rien. L’époque croyait au collectif et on vit fleurir un peu partout des chantiers plus ou moins improvisés où la chaleur humaine était moins rare que les compétences… (Lire ici un article sur l’expérience de Cogolin). Des monstres furent produit dont on eut parfois bien du mal à se débarrasser. J’ai ainsi connu de près (cimentage) une coque de goélette de 24 mètres qu’il fallut couler dans une fosse au large de Concarneau et une coque fleurie qui ne flottera jamais accueille les automobilistes au bord de la route à l’entrée d’Arcachon. Ces échecs cuisants ont complètement occultés de belles réussites qui naviguent toujours après plusieurs tours du monde et paraissent comme neuves.

Les techniques de l’époque doivent être rappelées tout d’abord afin de mieux mettre en évidence l’intérêt de celles d’aujourd’hui, qui naturellement constitueront la solution préconisée.

 

 

L’origine :

Comme l’indique Nicolas Claris dans l’article évoqué plus haut « le point de départ de cette épopée a sans doute bien été l'interview de Robert Griffith dans " Les Cahiers du Yachting " d'avril 1967 ». Je me souviens aussi que cet article m’a fait rêver à l’époque. J’ai pieusement conservé à travers toutes les maisons qu’il m’a fallu quitter un autre article à ce sujet paru dans le numéro 83 de « Neptune-Nautisme » de décembre 1969. Je viens de le scanner et beaucoup seront touchés de le retrouver ici. Avec son épouse Nancy, leur fils et quelques amis les Griffiths’ reconstruisirent en Nouvelle-Zélande « Awahnee II», un plan Uffa Fox de 53 pieds, à l’identique du premier qu’ils avaient perdu précédemment dans un naufrage en Polynésie. La vie de ces gens est par ailleurs extraordinaire. La famille partit vivre sur mer en 1959 et vécut des aventures continuelles dont trois tours du monde, le dernier accompli autour de l’Antarctique. En 1972  Bob Griffith reçut la prestigieuse médaille « Blue water » du Cruising Club of America. Pour les anglophones, Nancy Griffith raconte cette vie de liberté dans une série de films disponibles sur Youtube.

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Leur technique sera utilisée dans les premiers temps de cet engouement pour le ferrociment. Les couples sont tout d’abord formés sur un plan en grandeur en cintrant des tuyaux d’acier galvanisé, genre tuyauterie d’eau ou de chauffage central… Ils sont ensuite immobilisés par des ligatures sur une structure longitudinale du même métal. On complète le squelette ainsi dressé quille en bas par un maillage complémentaire plus resserré de fers ronds verticaux et longitudinaux formant treillis rectangulaire. On applique alors et compacte ensuite sur cet ensemble, toujours par des ligatures, quatre couches intérieures et quatre couches extérieures de grillage « de poulailler » à mailles hexagonales. Les couples et tuyaux divers sont ensuite remplis autant que faire se peut par un béton assez liquide pour espérer qu’il s’infiltre. On passe alors à la journée essentielle du cimentage. C’est là que tout se joue… Il faut avoir réuni beaucoup de main d’œuvre dont quelques maçons compétents et soigneusement organisé le travail. Certains sont affectés à préparer le béton, d’autres à le transporter aux suivants qui, à partir de l’intérieur de la coque, le font pénétrer dans l’armature jusqu’à ce qu’il la traverse. Il est alors lissé par les maçons à l’extérieur qui prennent soin de laisser l’épaisseur nécessaire et suffisante au-dessus du métal. Tout ce travail doit être mené en continu ; cela représente une très longue journée d’efforts importants... Commence dès le lendemain la cure de séchage qui dure 28 jours selon les règles en vigueur dans la construction immobilière.

Peu à peu, devant son succès chez les amateurs, le ferrociment a commencé à intéresser quelques chantiers navals professionnels dans le monde et en France. Les plus connus restent Windboats of Wroxham qui construisaient (entre 1974 et 1983) au Royaume Uni particulièrement selon les plans de Peter Ibold (Endurance 35) et le Chantier Naval de Saint Jean d’Angle (Grisbi 36) en Charente-Maritime. Ils firent évoluer la technique vers une construction sur moule, supprimant la lourde structure de tuyaux de chauffage. Leurs réalisations naviguent toujours, ont fait leurs preuves mais pâtissent sur le marché de l’occasion et auprès des compagnies d’assurances de la mauvaise réputation enracinée dans l’opinion par les nombreux désastres construits un peu partout. Le matériau continue à séduire d’assez rares amateurs dans le monde anglo-saxon. Le site http://www.ferrocement.org/ reste la vitrine des pionniers du domaine comme Hartley et Samson.

Et maintenant ?

D’anciens souvenirs (plus de 40 ans…) me revenant autour de ma réflexion sur le thème « naviguer quand même… », c’est-à-dire pour un coût raisonnablement compatible avec le revenu moyen dans notre pays, je me suis intéressé à nouveau à ce matériau, probablement le plus économique de tous. Et j’ai brusquement découvert grâce à Internet qu’il avait considérablement évolué sous l’effet de la recherche fondamentale et appliquée ainsi que du marché de la construction d’ouvrages d’art. Je vais m’efforcer, en non spécialiste, de décrire à présent à partir d’informations glanées sur le net ce qu’on appelle de nos jours le « Béton fibré à Ultra-Hautes Performances » (BFUHP) qui présente d’extraordinaires caractéristiques physiques (cf. le célèbre MUCEM à Marseille).

On sait que le béton est un matériau de construction composite fabriqué à partir de granulats naturels (sable, gravillons) agglomérés par un ciment. De façon intrinsèque, le béton de ciment possède une bonne résistance à la compression, mais une faible résistance à la traction. La bonne idée que l’on doit à Joseph Lambot déjà cité et à Joseph Monier a consisté au XIXème siècle à y incorporer des armatures en acier destinées à s'opposer aux efforts de traction et à les reprendre.

Concernant le ciment, limitons nous à savoir qu’il est une poudre minérale fine obtenue au terme d’un processus de fabrication très précis. Mélangée à de l’eau, cette poudre forme une pâte qui se fige et durcit, même sous l’eau, et présente alors une résistance importante.

Les spectaculaires progrès accomplis par l’industrie du béton depuis les réalisations de voiliers en ferrociment de nos années hippies et plus précisément depuis les années 90 l’ont été dans trois directions : les granulats, l’incorporation de fibres, la limitation de l’eau.

  • Les granulats : Dans le béton traditionnels, ils sont grossiers constitués de sable et de graviers plus ou moins calibrés. Leur assemblage dans le ciment laisse de nombreux vides propices à la rétention d’eau et à une fissuration. En prévoyant plusieurs classes de granulats (4 en général) bien calibrés on prévoit leur meilleur encastrement les uns dans les autres et dans la masse et donc une diminution des vides et de la porosité du matériau fini.
  • Les fibres : Elles constituent un réseau de mini-armatures réparties dans la masse ; elles améliorent de manière importante la résistance du béton à la compression et aussi à la traction. On voit utiliser des fibres polymères et minérales mais surtout dans le cas qui nous intéresse des fibres métalliques. Cette innovation peut permettre dans certains cas de supprimer totalement les armatures traditionnelles en fers à béton.
  • Le ciment a besoin d’une hydratation pour « prendre ». C’est traditionnellement l’apport d’eau qui amorce une chaîne complexe de réactions chimiques aboutissant au durcissement final du ciment. Cependant cette eau présente des effets néfastes sur le béton durci aussi la remplace-t-on au maximum par des superplastifiants. Il faut évoquer également des gammes importantes (SIKA) d’additifs aux divers effets.

Une très abondante littérature technique est disponible sur Internet, à tel point que l’on s’y perd et que l’on manque rapidement des connaissances scientifiques nécessaires pour l’assimiler. Quelques extraits suivent ci-dessous. Il faut élaguer, aller à l’essentiel et rester concret.

http://www.bfuhp.fr/

 « Les BÉTONS FIBRES À ULTRA HAUTES PERFORMANCES (BFUP), derniers nés de cette génération de bétons, sont des matériaux à matrice cimentaire, renforcés par des fibres. Leurs formulations font appel à des adjuvants superplastifiants et des compositions granulaires spécifiques ainsi qu’à des fibres (fibres métalliques, polymères ou minérales). La présence de fibres, les performances en traction et leur comportement ductile permettent de s’affranchir dans certains cas des armatures passives. Ces bétons offrent des performances exceptionnelles :

  • une très grande ouvrabilité ;
  • des résistances caractéristiques à la compression à 28 jours très élevées comprises entre 130 et
  • 250 MPa, ainsi qu’à la traction (valeur comprise entre 5 et 12 MPa) ;
  • de hautes résistances à court terme (24 heures) ;
  • des résistances mécaniques au jeune âge très élevées ;
  • une compacité très importante ;
  • une durabilité exceptionnelle (ce qui permet de les utiliser dans des environnements très agressifs) ;
  • une ductilité (déformabilité sous charge sans rupture fragile) importante ;
  • une ténacité (résistance à la microfissuration) élevée ;
  • un retrait et un fluage très faible ;
  • une dureté de surface très importante ;
  • une grande résistance à l’abrasion et aux chocs, 
  • une faible perméabilité ;
  • des aspects de parements particulièrement esthétiques et une texture de parement très fine ;
  • une optimisation des frais de maintenance et d’entretien des ouvrages ;
  • de nouvelles perspectives constructives.

 

 

PRINCIPE DE FORMULATION DES NOUVEAUX BÉTONS

La démarche s’appuie sur deux principes essentiels:

– diminuer la porosité du matériau ;

– optimiser le squelette granulaire.

> Diminuer la porosité du matériau

  • Réduction de l’eau excédentaire en n’utilisant dans le mélange que l’eau nécessaire à l’hydratation du ciment. Dans les bétons traditionnels, une grande partie de l’eau ne sert qu’à assurer une bonne ouvrabilité du béton frais et donc une bonne mise en place dans les coffrages. Cette eau libre dans le béton durci s’évapore ensuite en générant de la porosité et en contribuant aux déformations différées de retrait et de fluage.
  • Fluidification du mélange en défloculant les grains de ciment (plongés dans l’eau les grains de ciment ont tendance à s’agglomérer).
  • L’utilisation de superplastifiants permet d’éviter la floculation des grains de ciment et donc de réduire l’eau nécessaire pour le gâchage.

> Optimiser le squelette granulaire

  • Détermination de la distribution de la taille des grains, en tenant compte de leur forme et de leur résistance.
  • Introduction des ultrafines (fumée de silice : coproduit principalement de l’industrie du silicium et du ferrosilicium) qui comblent les micros vides inter-granulaires, améliorent la rhéologie à l’état frais et accroissent la résistance mécanique du béton, ainsi que sa durabilité, grâce à leurs propriétés pouzzolaniques (la fumée de silice réagit avec la chaux pour former de nouveaux composés qui densifient la matrice cimentaire).
  • Sélection de chaque classe granulaire (4 à 5 échelles de grains) afin d’obtenir un mélange à très haute compacité (granularité comprenant notamment des éléments fins pour remplir les espaces entre les plus gros granulats).

 

 

Fabrication et conditionnement :

Les BFUP sont, en général, manufacturés en sacs ou en Big Bag (de 500 kg ou 1 tonne) sous la forme de pré-mélange à sec de poudres et de fibres (les fibres et les divers adjuvants peuvent être conditionnés séparément). Le processus industriel de conditionnement bénéficie de procédures qualité garantissant la régularité et l’homogénéité des formulations et des performances.

La fabrication des BFUP nécessite une grande précision du dosage et de la régularité des constituants, des contrôles rigoureux et une méthodologie parfaitement respectée. Une maîtrise parfaite de la quantité d’eau et du rapport eau/ciment est indispensable. Pour certains BFUP, les fibres sont incorporées en cours de malaxage. La fabrication nécessite en général des malaxeurs à fort gradient de cisaillement et possédant un grand pouvoir dispersant et une procédure de malaxage spécifique.

Les BFUP peuvent être adaptés à toutes les techniques de mise en oeuvre. Ils sont en général autoplaçants, leur mise en place dans les coffrages, à la benne avec une manchette ou par pompage ne nécessite donc pas de vibration. Comme pour tous les bétons, des précautions particulières doivent être prises pour l’utilisation des BFUP à des températures basses ou à l’inverse élevées. La cure doit être systématique et particulièrement soignée afin d’éviter la dessiccation du béton. Le caractère autoplaçant des BFUP permet le coulage des pièces à géométrie complexe ou de parois de faible épaisseur.

La masse volumique des BFUP est de l’ordre de 2400 à 2600 kg/m3.

 

Le marché du béton :

On trouve donc sur le marché spécialisé des « Premix » de  BFUHP prêts à l’emploi (sauf les fibres parfois) mis au point par les grandes entreprises du domaine comme Lafarge, Holcim ou SIKA.

  • Ductal® : Bouygues, Lafarge, Rhodia,
  • BSI®/Ceracem : EiffageTP, SIKA,
  • BCV : Vinci Construction, Vicat,
  • CemtecMultiscale® : LCPC

Inconvénient majeur : ils sont très chers (plus de 80€ le sac de 25 kg). Probablement faut-il rémunérer des brevets et amortir de coûteuses recherches. L’approche et les objectifs défendus dans mes propos commandent évidemment de trouver une voie de contournement à cet obstacle rédhibitoire du prix. Elle consistera tout simplement à préparer soit même le Premix. Cela nécessite de se procurer une « recette », ses ingrédients et un mode opératoire convenable.

Composition des BFUHP :

Le document le plus complet et précis que j’ai pu trouver sur Internet à ces égards est disponible sur le forum TECHNI.CH et concerne la rénovation d’un ouvrage d’art sur la route reliant Aigle aux Diablerets en Suisse… Par quels détours passe notre passion pour les voiliers !

La formule indiquée dans cette expérience présente un coût de revient-matériaux impossible de 35,64 Francs suisses au kilo, soit environ 30 euros/kg, soit près de 100.000€ pour une coque de 3 tonnes. Il conviendrait de trouver des alternatives sur la plupart des postes, à commencer par les fibres (synthétiques et acier) sans perdre le bénéfice des principes mis en évidence par la recherche scientifique et appliquée.

 

F Ce point est celui qui devrait faire l’objet de plus d’approfondissements, d’imagination et être enrichi en informations.

  • Ainsi les fibres métalliques nécessaires pourraient être obtenues en tronçonnant des câbles ou haubans réformés. Les brins décommis présenteraient les avantages d’être en inox et d’être torsadés donc de meilleure tenue dans le béton fini…
  • Ainsi la « fumée de silice » est un sous-produit de la métallurgie et de la production de silicium qu’il est peut-être possible de se procurer selon un circuit commercial plus court…

 

Avant d’envisager l’adaptation de ce matériau à un projet de construction, considérons que « les formules types de BFUHP conduisent à des bétons, généralement, de consistance fluide ce qui permet un remplissage aisé des coffrages et des moules. » Cela signifie qu’un moule est indispensable et que de plus il devrait être double afin de constituer au final un coffrage mince. En conséquence :

  • Il faut intégrer le coût de ce moule dans le projet.
  • Pour limiter ce coût et respecter l’objectif de rapidité de construction il faut rester dans des formes simples (doris).

Charles Clinkemaillié Août 2014

 

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