Croisiere dans les glaces de la cordillère darwin


Voici la suite des aventures de Serge et Dominique embarqués sur un voilier dans les canaux de Patagonie

Debut mars 2007, dans les fjords des glaciers de la Cordillère Darwin, canaux de Patagonie, à environ 60 milles à l’ouest d’Ushuaia.

Il a gelé la nuit dernière. Nous quittons le mouillage. Le bateau déchire la fine couche de glace avec un bruit soyeux. L’étrave projette des glacons qui glissent à la surface avec un son cristallin. Il n’y a pas un souffle d’air. Nous avancons gaillardement à 4 noeuds en slalomant entre les plus gros blocs de glace.

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Nous approchons du glacier et sommes maintenant complètement entourés de blocs plus ou moins gros, soudés entre eux par la gelée de la nuit. Popof a réduit la vitesse et pris la barre. Les blocs de glace font sur la coque un bruit qui me parait infernal. Je me dis que ce n’est pas posible, que nous allons faire demi-tour. Popof n’a pas l’air inquiet. Les 12 tonnes de son bateau écrasent, poussent, écartent la glace. Sur les plus gros bloc, le voilier ralentit, semble s’arrêter, puis repart, toujours avec ce bruit…

Nous arrivons à environ 200 mètres du glacier, ou plutôt à l’endroit ou trois glaciers se jettent dans le fjord. Popof coupe le moteur. Nous avons de la chance, c’est une journée ou les glaciers parlent, ou plutôt …grondent. Toutes les quatre à cinq minutes, ça craque, ça pète, ça tonne ! Des énormes blocs tombent d’une quarantaine de mètres avec un bruit formidable, provoquant une curieuse houle sur la glace qui semblait pétrifiée. Nous nous taisons, nous écoutons, nous admirons. Comment décrire ce spectacle grandiose sans employer de lieux communs ? Il ne fait pas froid, nous déjeunons sur place, seuls, envoûtés.

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C’est le moment choisi par ma conscience pour me taper discrètement sur l’épaule. Elle parle tout bas pour que personne n’entende :
- Franchement, tu te vois dans ces conditions avec l’Oie Sauvage ?
- Non, cela ne serait pas raisonnable. L’hélice et le safran seraient vite endommagés… Sans parler du gelcoat qui subirait un sérieux coup de rabot !
Mon petit diable, comme à son habitude depuis quelques semaines, en profite pour se manifester :
- Tu parles! Il te suffisait de rester en eaux libres et de ne pas approcher les glaciers !
- - …
- Au fait tu sais qu’un Bavaria est passe à Ushuaia il y a peu ! Ils l’ont fait, EUX!
- Oui, mais je pense quand même que dans ces contrées un voilier de série n’est pas adapté… Antoine un jeune francais a disparu l’année dernière avec son Pogo, un autre voilier a dématé dans la même dépression. Nous avons discuté avec le propriétaire d’un bateau de voyage en acier qui a eu son balcon arrière plié par une déferlante… On parle d’un dériveur integral qui est reste 40 minutes sur le toit dans le Drake. (Il parait que l’équipage a eu besoin d’assistance psychologique au retour... Je me demande bien pourquoi...)
- Tss, tss, cela aurait pu arriver au Cap Corse ou dans le Raz Blanchard ! Je te le répète, tu n’as pas voulu affronter le Grand Sud car tu as manqué de…
Je ne le laisse pas terminer et lui expédie un méchant coup de pied dans les parties. Il ne bronche pas et continue de ricaner. Mince, j’avais oublié que les diables, comme les anges, n’ont pas de génitoires. Vlan, j’enchaîne par un maître coup de savate dans les dents, mawachi qu’on appelait çà quand nous étions jeunes. Là, il crache ses chicots et disparaît…

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Trêve de délire, nous sommes partis trois jours plus tôt. Nous cherchions un embarquement sur le ponton d’Ushuaia. Le hasard nous a fait rencontrer Olivier Pauffin de Saint Morel, plus connu ici sous le nom de Popof. Il nous a offert un café sur son “Kekilistrion”. Nous nous sommes tout de suite sentis bien à son bord. Tout est costaud sur ce bateau : La coque, le gréement et même le skipper… Il ne prend que quatre passagers, Popof. Nous sommes quatre amis, cela tombait bien. Un coup de charme pour convaincre nos épouses et nous embarquions deux jours plus tard.

Nous partons d’Ushuaia, direction Puerto Williams dans une grosse bourrasque de neige. Je me choppe un début d’onglée à dénouer les rabans de grand-voile. Cela commence bien… Deuxieme jour, cap à l’ouest dans le canal de Beagle. Nous prenons un peu plus de 40 noeuds au niveau du feu des Eclaireurs. Au près, grand-voile à trois ris, trinquette en partie roulée, cette coque à déplacement lourd et quille longue est confortable dans ce gros clapot. Elle passe en puissance, appuyée au moteur. A nouveau, je ne peux m’empêcher de comparer avec notre voilier. Il est certain qu’il taperait plus dans ces conditions. Nous aurons un temps de demoiselle le reste de la semaine. Des paysages de rêve alternerons avec des mouillages superbes.

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Il est cool Popof. Cambuse ouverte en permanence. Apéro, fruits, viande, bière, vin, tout est à volonté à bord. Et puis c’est toujours comme on veut avec lui :
- A quelle heure part-on demain ?
- Comme vous voulez !
- Je peux barrer ?
- Si tu veux !
- On peut t’aider pour la cuisine ?
- Si vous voulez !
Pendant ce temps le poêle à gasoil diffuse 24h/24 une douce chaleur à l’intérieur du carré. Il n’y a que sur la sécurite qu’il ne rigole pas. En partant, il nous a dit tranquillement :
- Si vous tombez à l’eau, vous êtes morts…
Merci pour ces journées inoubliables Popof. Ne touche pas au réglage, tout est bon à bord de Kekilistrion !
http://www.kekilistrion.com.ar/bateau.htm

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Les canaux de Patagonie sont immenses. Ils s’étendent sur près de 4000 km. Jusqu’au début du XXème siecle, ils étaient les domaines des tribus Yamanas, Onas, Kawesqar, Tehuelches. Ces forces de la nature vivaient de la chasse et de la pêche. Ils pratiquaient la lutte et utilisaient un riche vocabulaire. Ils vivaient nus pour certains, ce qui parait incroyable sous ces latitudes. Les premiers missionnaires, bien sûr, en furent horrifiés et n’eurent de cesse que de les vêtir. Les “indiens” disaient qu’ils étaient pudiques dans leurs actes et non dans leur habillement…

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En quelques cinquante ans, environ de 1850 à 1900, ils vont être decimés par la tuberculose, la syphillis, l’alcool, une éducation inadaptée, et les expéditions menées contre eux. Leur disparition va être accélérée par l’abattage massif des lions de mer (Otaries) qui étaient leur nourriture de base. L’homme blanc, sur ce coup, va montrer qu’il est plus fort que la nature. Il va réussir en un demi siècle, ce qu’un environnement extrêmement hostile n’a pas réalise en plusieurs dizaines de milliers d’années. En effet, certaines éthnies étaient originaire de Mongolie et de Sibérie. A l’époque de la dernière grande glaciation (20000 ans) elles avaient passé le détroit de Béring, avaient traversé les continents nord et sud américains pour venir en butée sur la Terre de Feu, “le bout du monde”.

Gabriela habite Puerto Eden, petit hameau perdu aux milieu des canaux de Patagonie. Elle est agée et malade. Elle est la derniere Kawesqar. Il ne reste donc de cette fière “race” (Je crois que ce terme est impropre) que quelques vielles photos au musée d’Ushuaia. Sur l’une d’elles, on voit de valeureux chasseurs blancs qui viennent d’abattre à la winchester un grand gaillard vêtu seulement de son arc et de ses flêches. Pourtant les anthropologues de l’époque se sont intéressés à cette “espèce”. On leur a moulé le visage et les parties génitales pour mieux les étudier. On en a exhibe plusieurs “specimen” à Londres et à Paris pour l’exposition universelle de 1895.

C’était inéluctable me direz-vous ? Oui, sans doute… Je suis hors sujet ? Je le concède... Mais j’ai ressenti un drôle de sentiment en découvrant l’histoire de ces peuples. Je voulais juste vous en faire part…

Serge et Dominique de l’Oie Sauvage

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