La godille, une affaire de talent ?


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la godille une affaire de talent

Une affaire de style : La godille

Godiller est une chose bien trop compliqué pour être enseigné dans les gros livres ou par des orateurs à mentions et à double menton. C'est tellement une affaire de style pur, et intime, que le godilleur trace en godillant un sillage de guirlandes de signatures répétitives et d'infinis paragraphes de notaires. Les boucles et ondulations ornementales sont si joyeuses que l'on peut voir dans les remous de l'eau des risettes angéliques et des fossettes furtives. Chacun godille selon ses capacités et son humeur et c'est un des rares exercices où l'artiste témoigne de son art en tenant bon le manche, même s'il est manchot, pour le meilleur profit des amateurs épatés alignés comme goélands de cérémonie aux postes d'admiration. C'est une manoeuvre à la fois ardue et hardie. Pourtant un mouflet tout morveux fait torcher en finesse une lourde pinasse comme une torpille acérée en maniant à l'aise un gros aviron de galère, laisse sur place un malabar à biceps surgonflés à bord d'une prame en acajou des îles touillant de toutes ces forces inutiles un aviron ténu comme un cure-dent.

En général (un mot de biffin), le godilleur ne se réfère qu'à l'horizon de fuite et bourlingue au pif, espèce de radar qu'il a dans le dos, les jambes arquées comme un compas, l'aviron bordé presque à la verticale, les épaules roulant ronds, la main calleuse travaillant le manche comme fait la queue du poisson en allers et retours. Ces huit allongés avec efficacité et élégance sont l'expression même de l'économie nautique.

J'ai connu naguère à l'Alber Ildut de hardis pécheurs de morues et
maquereaux rentrant d'Islande ou de l'Aber Wrach. Ils sautaient comme des cabris dans leur doris et faisaient tête en godillant à tout berzingue sur le bistroquet local. Après quelques heures d'incubation, le déhalage était laborieux mais, à peine affalés dans le canot, ayant saisi le manche de l'aviron, lui aussi rond comme une queue de pelle, l'un d'eux se campait à l'arrière, cahin-caha et dans un suroît brumeux. Alors, la godille, enchantée par les sortilèges de l'onde marine, embrayait d'emblée sa marche hélicoïdale et ramenait à bord, sans les mouiller, les navigateurs de l'entre-deux brumes.

Et j'ai connu aussi le pékin du dimanche, bouffi de vanité. Son mouille-cul tape-à-l'oil dormant sur le fer à deux encablures et ayant cru pouvoir gagner la rive dans son youyou, il n'arrivait qu'à virer en rond tant son aviron tordu s'agitait comme un balai forcené. Pauvre mathurin d'occasion, moqué par la bigaille cruelle. Plus il faisait de ronds dans l'eau et plus ils se tordaient de rire. A force d'application, ce gargouillou a fini un jour par godiller sec et droit. Ca lui est venu d'un coup. On voit par là, que la godille c'est comme la foi. Si on l'a tant mieux, si on ne l'a pas, il ne faut jamais désespérer. Sainte Anne, la patronne des marins veillent sur un et sur tous également.

Georges Croullebois

 

NDLR : Ce texte est issu de Cols Bleus,dénichée sur un autre forum par Françoise de Cherbourg. Mais je ne résiste pas au plaisir de le faire découvrir à ceux qui ne le connaissent pas. Un texte qui resume l'esprit "godille" des petits ports Bretons.......à vous de le deguster,comme j'avais eu le plaisir de le deguster moi meme...

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